Un ancien art polynésien, longtemps oublié, qui renait...

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Sans que nous en soyons vraiment conscients, notre conception de l'art polynésien est très imparfaite car, dans les musées et les collections privées ethnographiques, ainsi que dans les ouvrages consacrés à l'ancienne culture polynésienne, nous ne trouvons presque jamais de spécimens de l'art dans lequel les Polynésiens avaient atteint les plus hauts sommets, à savoir le tatouage.

Ce mot que nous employons en français, comme dans la plupart des langues européennes, pour désigner cet art spécifiquement polynésien, est, du reste, dérivé du mot tahitien tatau. Le seul autre mot d'emprunt à cette langue est tabou (tabu).

L'ampleur qu'avait pris en Polynésie cet art décoratif est en toute vraisemblance liée à la pâleur relative de la peau des insulaires qui fait ressortir les dessins tatoués avec une incomparable netteté. Tandis que la peau plus foncée des autres peuples vivants sous les tropiques (Mélanésiens, Australiens et Africains) ne se prête qu'à une décoration par la peinture ou la scarification. La seule autre nation qui avait atteint la même perfection dans l'art du tatouage est, assez curieusement, le Japon, où le climat plus rude offre cependant peu d'occasions pour exposer les chefs-d'oeuvre.

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Notre ignorance actuelle du tatouage ancien est naturellement du à la nature périssable du "canevas" utilisé. Il convient également de rappeler que, dans la plupart des îles polynésiennes, les missionnaires européens, protestants aussi bien que catholiques, qui ont réussi à convertir la quasi totalité des populations de très bonne heure, ont sévèrement réprimé cette pratique d'embellir et de glorifier le corps, cause de péché. Ils avaient raison dans leur propre optique, puisqu'il semble que la vue d'un beau tatouage agissait comme un puissant stimulant érotique. Inversement, un individu non tatoué était universellement rejeté par le sexe opposé, ce qui explique pourquoi les marins européens se faisaient tatouer avec empressement, malgré la douleur intense provoquée par les incisions.

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Il convient d'ajouter que certains dessins étaient réservés aux chefs ou aux membres de la fameuse secte des Arioi. Puisqu'il fallait remercier avec largesse les maîtres tatoueurs, en les couvrant de cadeaux, il va aussi de soi que les étaient souvent mieux et plus complètement tatoués.

L'interdiction des missionnaires fut si efficace que, en 1905, lorsque l'ethnographe anglais H. Ling Roth publia la première étude sur le sujet, il ne restait aucun autochtone tatoué dans les îles de la Société. Il finit cependant par découvrir, dans son propre pays, un spécimen magnifique de cet art oublié, datant de 1816. Il s'agissait d'un malheureux Tahitien, embarqué comme matelot sur un navire européen, qui avait littéralement laissé sa peau en Angleterre, puisqu'elle fut, après sa mort, enlevée, séchée et conservée dans un institut médical.

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Grâce à ce travail de synthèse de H. Ling Roth, basé essentiellement sur les observations et les croquis faits par les visiteurs européens du 18eme siècle, nous savons avec certitude qu'au moment de la découverte, les Tahitiens se faisaient tatouer seulement les hanches et les fesses, les pieds et les mains, et que les femmes d'une manière générale, étaient beaucoup moins tatouées que les hommes. Les dessins préférés étaient aussi bien géométriques, cercles ou bandes, que naturalistes, plantes, feuilles ou poissons. Ceci est vrai aussi pour les îles Australes et les Tuamotu, bien qu'il existât dans ces archipels certains motifs distinctifs qui indiquaient immédiatement l'origine géographique du porteur.

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Cependant, de toutes les îles qui composent aujourd'hui la Polynésie Française, les Marquises l'emportent de loin par la beauté des motifs géométriques compliqués qui couvraient entièrement le corps de tous les hommes et de toutes les femmes, y compris leur visage. A cause de l'isolement et de l'éloignement des Marquises, c'est là que les anciennes traditions se sont le mieux conservées et l'on y trouvé vers la fin du siècle dernier, des centaines d'individus tatoués. Un des plus grands ethnographes européens de cette époque, l'Allemand Karl von den Steinen, décida de fixer pour l'éternité cette galerie d'art océanien voué à l'extinction et, en 1897-98, en six mois, à l'aide d'un appareil photographique, il parvint à produire une étude d'ensemble de l'art marquisien, qui est devenu un des grand ouvrages classiques : Die Markesaner Und ihre Kunst. Vingt-trois ans plus tard, l'ethnographe américaine Willowdean Handy ne retrouva aux Marquises que cent vingt-cinq personnes partiellement tatouées.

Aujourd'hui, alors que le tatouage est revenu à la mode parmi les jeunes tahitiens libérés des tabous des missionnaires, c'est surtout dans l'ouvrage de Karl von den Steinen que les maîtres tatoueurs, venant souvent des Samoa, trouvent leurs motifs. De même les sculpteurs, graveurs et fabricants modernes de tapa et autres curios, s'inspirent également de cette source, de sorte que cet art, longtemps dédaigné et oublié, a finalement triomphé et conquis plusieurs autres domaines artistiques.

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